Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, vient de l’énoncer distinctement, dans une circulaire adressée aux préfets: «Il y a lieu de faire preuve de la plus grande vigilance lorsque sont susceptibles d'être prononcés des propos incitant à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une race ou une religion donnée.»
Cela est parfaitement exact – et nous devons souhaiter que cette nécessaire «vigilance» s’applique dans toutes les occasions où de tels «propos» risquent d’être «prononcés».
Car en effet – et contrairement à ce que pourrait donner à penser l’actualité de ces derniers jours: ce n’est pas seulement dans les endroits où se produit un ex-humoriste reconverti dans la vomissure antisémite, que sont dits des «mots de haine».
Bien au-delà du cas de ce personnage: c’est tous les jours, ou presque, que sont formulées, dans l’espace public – le plus souvent sous le prétexte, un rien orwellien, de lutter contre une imaginaire censure des «bien-pensants» -, des proférations qui, de fait, discriminent des personnes (ou des groupes de personnes) «à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une race ou une religion donnée»…
…Et qui sont d’autant plus alarmantes qu’elles ne sont, quant à elles, pas du tout cantonnées dans quelques fétides recoins – mais (presque) partout exhibées, et (presque) partout données comme autant de gages d’un très salutaire iconoclasme: c’est ce que démontrent, par exemple, l’étude du traitement que la presse dominante, gavée d’aides publiques, réserve coutumièrement aux Roms ou (bien plus encore, et «à raison de leur appartenance à une religion donnée») aux musulman(e)s…
…Ou celle du comportement du personnel politique français, qui n’en finit plus - sous l’abri du bris de prétendus «tabous» - de libérer dans l’époque des logorrhées dont la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) assure qu’elles contribuent «du moins à légitimer des attitudes de méfiance à l’égard de l’Autre, du différent, de l’étranger».
Dans ces pratiques, où «le discours d’une partie de la classe politique semble», toujours selon la CNCDH, «rompre avec un discours “politiquement correct“ qui interdisait de mettre en cause voire de nommer certaines catégories de la population en fonction de leurs origines», et «vient» par conséquent «renforcer la légitimité d’un discours ou d’attaques visant nommément tel ou tel groupe»: la droite peut légitimement se prévaloir d’une certaine ancienneté.
Mais elles se rencontrent aussi dans des formations qui se réclament de la gauche.
À cet égard: il est intéressant de constater que l’un, parmi les plus chevronné(e)s, de ces politicien(ne)s «iconoclastes» - mainte fois salué comme tel par des publications versées sinon dans le sarkozysme désinhibé – vient du Parti «socialiste».
Dans ses années de députation: il s’est notamment fait connaître par sa visite d’un marché d’une importante ville du département de l’Essonne, où, découvrant plus de citoyen(ne)s noir(e)s de peau que dans – disons - les travées de l’Assemblée nationale (où il n’avait que peu réclamé qu’on mît plus de couleur[s]), il suggéra qu’on les mélange de «quelques Blancs, quelques Whites, quelques Blancos».
Mais heureusement: ses camarades ne lui en ont pas tenu rigueur, et depuis un an, il est ministre.
D’État, comme il se doit.
Et dans ces nouvelles fonctions, il a, jusqu’à présent, régulièrement entretenu la flamme de ce que l’hebdomadaire Marianne, qui ne le hait point (du tout) – et ne reste jamais longtemps sans lui prodiguer quelque nouvel encouragement à ne pas se laisser circonvenir par la «gauche morale» - appelle sa «stratégie anticonformiste»: lorsqu’il a jugé, par exemple, que «les Roms» avaient«vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie» (car «ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation» avec nos lumineuses traditions)…
…Ou lorsqu’il a estimé – dans une démonstration qui lui a dit-on valu un regain de popularité dans les rangs de l’UMP - que «la question du regroupement familial» pouvait «être posée»…
…Ou lorsqu’il a, souvent – car c’est, chez lui, presque une marotte –, administré aux musulman(e)s des leçons de maintien républicain.
Nous parlons ici, on l’aura reconnu, de Manuel Valls, ministre de l’Intérieur.
Qui vient donc de passer, pendant que son gouvernement continuait de subventionner une presse largement dédiée à l’entretien de phobies désinhibées, de longs mois, quant à lui, à lâcher, depuis les plus hautes hauteurs de l’appareil d’État, des proclamations qui n’incitaient pas exactement à l’empathie «à l’égard» de divers groupes «de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une race ou une religion donnée»…
…Mais qui tout soudain proclame qu’«il y a lieu de faire preuve de la plus grande vigilance lorsque» de tels«propos sont susceptibles d'être prononcés»: preuve qu’il est, de fait, radicalement décomplexé.