Comment les réseaux sociaux ont permis l’improbable collaboration d’un jeune étudiant lillois et d’A$ap Rocky, star montante du Rap US
« Mes influences ? Principalement l’âge d’or de la musique commerciale des années 2000 : le rap, le R&B, la pop. Si ça ne passait pas à la radio, que ce n’était pas clippé avec des yachts, des grosses chaines en or et de belles caisses, ça ne m’intéressait pas ».
Ces propos, qu’on pourrait prendre pour cyniques, sortent de la bouche de Soufien, jeune producteur talentueux de 24 ans, pourtant inconnu du grand public.
Rien en effet ne prédisposait ce jeune étudiant de la métropole lilloise à faire carrière dans le rap. Pour autant, Soufien a produit deux beats (instrus) pour A$ap Rocky, Rakim Mayers à la ville, nouveau prodige du rap made in US, au prénom-hommage à l’illustre interprète de Paid in Full et Don’t sweat the Technique.
Clics décisifs
Les deux titres produits par le jeune Frenchie figurent donc sur sa mixtape LiveLoveA$ap parue en 2011 et déjà légendaire. Elle a suffisamment retenu l’attention de Sony pour que la Major propose au jeune Rakim un contrat jackpot à 3 millions de dollars pour son album attendu en juillet.
Le lien qui a permis la rencontre improbable du jeune lillois déconneur et étranger au microcosme musical et la nouvelle sensation rap de Harlem ? Quelques clics décisifs sur Internet.
Le Rap mainstream, Soufien a grandi avec ; sa curiosité sans bornes et les réseaux sociaux ont fait le reste.
Quant aux bigs enjeux économiques à l’heure où l’on dit le rap à la dérive, Soufien3000 (son pseudo Twitter en hommage à l’André du même nom, moitié du groupe sudiste Outkast) semble les traiter à la légère. Véritable encyclopédie du rap, il partage sans compter coups de cœurs et liens YouTube sur les réseaux sociaux.
Depuis quand fait-il du son comme disent les jeunes de son âge ?
« Je sais plus trop exactement. J’ai commencé sérieusement il y a deux ou trois ans quand je me suis acheté un ordinateur personnel. Faudrait que je retrouve le ticket de caisse pour avoir la date précise. Les premiers mois m’ont permis de me familiariser avec l’outil. Ensuite, j’ai commencé à réaliser des instrus pour le plaisir et pour les faire écouter à mes potes ».
Tu veux être mon ami?
Sa rencontre virtuelle avec A$ap remonte à l’an dernier. Vraiment en un simple clic ? Just like that ?
«Je suis d’abord tombé sur son morceau ‘Purple Swag’ sur Internet. Il n’était pas encore clippé et était juste présent sur YouTube avec une photo fixe de lui, à l’arrache. Je me suis donc mis à chercher des infos sur lui. J’ai tapé son nom sur Facebook en espérant tomber sur sa fan page et je suis tombé sur son profil perso ; je l’ai ajouté en ami et une nuit, je l’ai vu en ligne sur le chat Facebook ! J’ai discuté avec lui, je l’ai interrogé sur ses projets et je l’ai simplement encouragé à continuer dans cette voie. De fil en aiguille, je lui ai fait écouter mes instrus. Il a aimé et m’a demandé s’il pouvait en utiliser ; j’ai immédiatement répondu oui ».
http://www.youtube.com/watch?v=KuZ2QZKYj7c
Alors les vieux cons, toujours convaincus que le rap c’était mieux avant (Internet) ? Le conte de fée façon Mark Zuckerberg devrait faire rêver plus d’un producteur en herbe dans sa chambre d’ado. Au delà de cette plongée aussi rapide que désinvolte dans le grand bain du rap, quels sont ses projets ?
« Prochainement, j’ai des morceaux qui sortiront avec Issue, dont son single. Ça s’appelle « Ferrari (Italian Love) » ; sur l’album « Wave of Italy ». les mots clé du projet sont l’amour des cylindrées italiennes, l’élégance et le sirotage de thé. Le clip sera bientôt tourné. J’ai aussi des morceaux sur la tape d’ASAP ANT et Young Shaka qui sortiront dans le courant du mois de juin. C’est mortel et ça vient de Baltimore. Pour la suite, il faudra rester connecté sur l’Internet pour avoir les infos en direct ! ». Internet, encore et toujours…
Crédible du jour au lendemain
Mais comment gère-t-on une exposition aussi brutale, et le fait de se retrouver considéré comme « crédible » du jour au lendemain par les fans de rap et la hype parisienne ?
« Je ne gère pas ça d’une manière particulière et ma vie n’a pas radicalement changé. Il m’arrive toujours de manger des kebabs dans ma Clio, je garde ça vrai à fond ! Après bien sûr, y’a les gens qui me demandent des autographes quand je marche dans la rue, mais j’essaie de rester proche d’eux. Ça fait toujours plaisir de discuter avec ses fans. Franchement, je déteste ceux qui prennent la grosse tête » répond-il très premier degré avant d’éclater d’un rire franc.
Est ce que cette facilité de contact, cet accès immédiat à tout et à tous, le partage et l’exposition via les blogs vont réellement permettre l’émergence d’une nouvelle génération surdouée ? Twitter et Facebook ont-ils tordu le cou de l’idée préconçue selon laquelle, point de salut hors du milieu musical parisianiste ? L’avenir nous le dira :
« Je ne pense pas qu’on puisse déjà s’avancer la dessus ; je pense que les choses seront sérieuses le jour où l’on pourra trouver la première compilation ‘génération Internet’ en supermarché, et tête de gondole à l’entrée du magasin ? Sinon, ça ne comptera pas » confie-t-il sourire aux lèvres.